(allez, j'inaugure le renouveau du forum,
vive Bolet!
Bien frat.
Véro)
Margaret Michaelis, une photographe anarchiste
L'œuvre photographique de Margaret Michaelis est restée longtemps
méconnue. Ce n'est qu'après sa mort en 1985 que des expositions ont
été présentées au public, en particulier à l'Australian National Gallery
de Canberra en 1988 et en 2005 et à l'Institut valencià d'art modern à
Valence en Espagne en 1998. Sa vie fut mouvementée. Ses meilleures
photographies furent réalisées en Espagne pendant une courte période
(1932-1937). Ses photoreportages et ses photomontages sont une très
belle illustration de cette époque agitée.
Margaret Gross est née en 1902 dans une famille juive de Dzieditz en
Autriche (aujourd'hui Dziedzice à une centaine de kilomètres de Cracovie
en Pologne). Elle étudie la photo à l'Institut d'arts graphiques et de
recherche à Vienne. Elle sera copiste, retoucheuse et réalisera des photos
publicitaires, industrielles et de mode dans des studios à Vienne, Prague
et Berlin.
En 1929, elle rencontre Rudolf Michaelis (1907-1990) qu'elle épousera
en 1933. Né à Leipzig, il est anarcho-syndicaliste depuis son adolescence.
Il fait partie de la FAUD (Union des travailleurs libres d'Allemagne). Il
travaille au Musée d'État de Berlin où il restaure des antiquités du Proche-
Orient. Il participe également à des expéditions (Ourouk en Irak pendant six
mois en 1932 et 1933). En 1928, il a fréquenté Buenaventura Durruti lors
de son passage par Berlin. Rudolf est le leader de la GFB (Corporation des
bibliophiles libertaires), branche culturelle de la FAUD.
Margaret Michaelis ouvre son propre commerce de photo à Berlin en 1931
(Foto-gross). En 1932, elle part en voyage à Barcelone. Son hôtel est au
cœur du quartier le plus misérable, le Barrio Chino. Ses photos sont prises
à la sauvette avec un petit Leica : Gitans, marins, joueurs de cartes, enfants,
musiciens des rues. La méfiance règne dans le quartier, elle est prise pour
un indicateur de police et doit se réfugier dans son hôtel auprès de ses
compatriotes allemands. Elle écrit un texte sur cette expérience. « Ce fut
un après-midi rempli d'émotion. Arriva un accordéoniste qui s'assit devant
la pension et commença à jouer. Au bout d'un moment tous les enfants de
la rue Mediodía l'avaient entouré. Une triste et terrible image. Les
statistiques supposent qu'entre 90 et 95 % des enfants du Barrio Chino
souffrent de syphilis. De nombreux enfants avec le nez aplati, chauves,
aveugles, avec des béquilles. C'est la face obscure de Barcelone. Le Barrio
Chino est la honte de toute la Catalogne. Les enfants sont une dénonciation
silencieuse ». Et ses photos, mal cadrées, tordues sont également une
virulente critique sociale.
Avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir, la situation devient intenable pour les
Juifs et les anarchistes. Rudolf avait participé clandestinement au congrès
de l'AIT (Association internationale des travailleurs) à Amsterdam en 1933.
Ses activités antifascistes et son refus de reconnaître l'ordre nouveau
provoquent son licenciement. Il sera emprisonné pendant cinq semaines et
libéré grâce à l'intervention du directeur du musée. Margaret sera elle aussi
arrêtée à la suite d'une curieuse histoire de vol de livre dans la librairie de
la FAUD. Margaret et Rudolf s'exilent et choisissent Barcelone comme
destination. Ils retrouvent d'autres membres de la FAUD qui forment le
DAS (Deutsche Anarcho-Syndikalisten). Ceux-ci ont alors peu de contacts
avec leurs compagnons espagnols. Ils ne parlent ni le catalan, ni l'espagnol
et vivent dans la misère. Ils sont suspects aux yeux des autorités. Dans ce
contexte difficile, Rudolf et Margaret se séparent en 1934.
Margaret Michaelis ouvre son propre studio en 1934 (foto-studio' qui
deviendra ensuite foto-elis). Elle travaille pour les architectes d'avant-garde
du GATEPAC et réalise des photos pour leur exposition Nova Barcelona.
Elle paraissent dans les revues AC (documentos de actividad contemporánea)
et D'aci e d'allà. Le GATEPAC avait un projet de réhabilitation du Barrio
Chino qui ne sera jamais réalisé. Les photos de Margaret Michaelis sont des
documents sociaux. Elles sont pleines d'énergie, les gens acceptent sa
présence et continuent leurs activités sans se soucier de l'appareil photo.
Ses points de vues sont inhabituels : plongées, contre-plongées,
compositions graphiques. Les rues sont vues d'en haut des immeubles, les
immeubles d'en bas de la rue. Par leur style, elles peuvent être rattachées
au courant de la Nouvelle photographie qui fut représenté en Allemagne et
en URSS dans les années 20 et 30. Les maisons sont sales, les façades
décrépites, les intérieurs sont pauvres et peu équipés, les cours intérieures
sont remplies d'ordures. Les enfants sont toujours malades. La situation
sanitaire est catastrophique. Dans les revues, ses photos sont accompagnées
de graphiques, de statistiques et de plans qui accentuent la dramatisation.
Un photomontage représente une figure masculine « dégénérée » du quartier
sur une vue aérienne de la ville. Un autre montage représente un enfant à la
tête tordue vu de haut sur la partie droite de la page, la partie gauche est un
texte accompagné de statistiques sur la densité de population et la mortalité.
Des flèches relient les deux parties.
En 1935, elle réalise des photos pour une exposition (Barcelona futura) qui
doit avoir lieu à Buenos Aires. Elle accompagne l'architecte José Luis Sert
et le peintre Joan Miró en Andalousie, les photos du voyage sont publiées
dans AC. Elle publie des travaux publicitaires dans Crónica et D'aci i d'allà.
Elle photographie les peintures de Miró. En 1936, pour répondre au coup
d'Etat fasciste, la révolution éclate en Catalogne. Rudolf est délégué du
Groupe Erich Mühsam qui intégrera la Colonne Ascaso, les anarchistes
allemands et espagnols se rapprochent enfin. Le DAS intègre la Fédération
locale des groupes anarchistes de Barcelone. Rudolf participe à l'occupation
du Club allemand, repaire de nazis. Margaret fait un voyage à Valence en
Aragon avec Emma Goldman, Hans-Erich Kaminsky, sa compagne Anita
Garfunkle et Arthur Lehning, secrétaire de l'AIT. Ils visitent les nouvelles
collectivités rurales. Margaret photographie les paysans et fait un magnifique
portrait d'Emma Goldman sans ses fameuses lunettes avec un regard
inflexible et une certaine gravité. A la fin de l'année, elle photographie
l'enterrement de Durruti.
Margaret Michaelis travaille en 1937 pour le Commissariat de propagande
de la Généralité de Catalogne. Ses photos nous montrent la vie quotidienne
à Barcelone. Elle fait des reportages sur la santé publique, l'aide à l'enfance,
l'industrie. Les photos sont publiées dans Nova Iberia, SIAS, puis Armas y
letras et sont probablement utilisées dans des publications anarchistes. Ce
sont des photos documentaires, elles sont descriptives, sont faites rapidement
et ne sont pas retouchées. Dans le Barrio Chino, elle photographie sans se
cacher comme en 1932, les clients des bars et restaurants. Elle est à la fois
cliente et photographe et fait parfois de la mise en scène (un voleur dérobe
le sac à main d'une cliente en pleine discussion). Ses photos du Barrio Chino
sont utilisées par le syndicat socialiste UGT. Quelques photos de Margaret
sont visibles dans une publication franquiste Homenaje de Cataluña liberada
a su caudillo. Inutile de préciser que Margaret n'a jamais donné son accord
et qu'il s'agit d'un vol.
La situation est tendue en Catalogne, les staliniens arrêtent Rudolf à plusieurs
reprises. Margaret quitte l'Espagne à la fin de l'année 1937. Après un passage
par la France, elle rend visite à ses parents en Pologne en 1938. A cette
occasion, elle photographie le ghetto juif de Cracovie, dernières images sans
doute… Elle obtient un visa pour la Grande-Bretagne puis pour l'Australie.
Elle arrive à Sydney en 1939. Rudolf avait intégré l'armée républicaine et
pris la nationalité espagnole. Après la défaite, il passe en France puis
retourne clandestinement en Espagne. Arrêté, il restera en prison jusqu'en
1944.
En Australie, Margaret Michaelis adopte un profil bas. Les émigrants de
langue allemande étaient mal vus et surveillés. Elle va cacher jusqu'à la fin
de sa vie ses photos réalisées en Espagne. Elles les tenaient en très haute
estime mais ne les montrait pas et n'en parlait pas. Elle évitait sans doute de
parler de cette époque qui avait précédé l'Holocauste qui fit disparaître sa
famille. En 1940 , elle ouvre le Photo Studio. Les photos qu'elle réalise sont
des portraits de studio conventionnels qui n'ont rien à voir avec son travail
antérieur. Son travail est uniquement alimentaire : elle photographie des
artistes, des danseurs et des écrivains et abandonne toute photo d'extérieur.
Le studio fermera en 1952 à cause des problèmes de vue de Margaret.
En 1960, elle épouse Albert George Sachs et travaille avec lui dans son
commerce de cadres et de vitres à Melbourne. Elle pratique la peinture et le
dessin en amateur. Elle s'intéresse alors à la psychologie de Jung et au
bouddhisme. Elle rend visite à Rudolf en 1967 qui vit avec sa famille à
Berlin-Est et restera en correspondance avec lui jusqu'en 1975. Elle meurt
en 1985, ses archives écrites et photographiques sont données à la National
Gallery d'Australie.
Sources :
Margaret Michaelis: fotografía, vanguardia y política en la Barcelona de la
República : IVAM, 15 octubre 1998-3 enero 1999. Valencia, IVAM,
Barcelona, Centre de cultura contemporània de Barcelona, 1998. 175 p.
ISBN: 84-482-1926-0
Margaret Michaelis : Australian National Gallery, 26 November 1988-19
February 1989. Australian National Gallery, 1988. 4 p.
Felip EQUY, juin 2000